mardi 13 décembre 2011

Sans parole

 

Je ne peux plus raconter
inventer
plus rien ne passe
le temps immobile
me nargue
et toi et toi et toi
les mêmes gestes chaque jour
sans toi
je me maquille
faire croire que je suis belle
sans toi
je parle pour ne rien dire
sans voix
 

mercredi 7 décembre 2011

A travers l'oubli

 
La chaleur humide coule le long des corps
le cri du plaisir trop violent
te revient
de ce temps perdu
où tu voulais dévorer le monde
de tes mâchoires bleues

As-tu oublié l'étrange enfant qui voulait retrouver celui qu'elle aimait, perdu dans un autre temps ?
Elle disait oui, attends, non, pas comme ça. Avait l'impression parfois de le retrouver, faisait des connections, les mauvaises, celles qui provoquaient des explosions. Voulait partir, sans y parvenir, prisonnière qu'elle était de ce monde, de toi. Souvent elle croyait le revoir, mirage, tendait la main vers lui sans jamais le toucher. Tu la savais à la recherche de cet autre, mais tu tenais trop à elle pour la laisser partir. Accroché à son corps laiteux, tu n'aurais pour rien au monde desserré ton étreinte. Tu savais ton monde trop dangereux pour qu'elle s'aventurasse dehors seule, sans toi, tu croyais pouvoir la rassurer, toujours. Ton monde de voitures brûlées, de sous-sol, de souterrains, d'usines ; ton monde de corps refaits, de travestis malades, d'air vicié. Mais elle a fini par disparaître, par prendre le chemin de terre qui remontait vers la forêt, a trouvé la montagne pour partir. Elle t'a rendu tes mains d'ocre et d'acier, si douces pourtant, pour aller retrouver celui qui n'existait probablement pas. Elle t'a laissé dans la solitude des jours de deuil.
Tu l'as revu plus tard, sur un bateau. Où alliez-vous ? Personne n'en a gardé le souvenir. Tu te rappelles seulement l'avoir aperçue, de lui avoir parlé, et tout semblait déjà redevenir comme avant. Mais le bateau avançait trop vite et à l'arrivée elle avait déjà disparu. A force de suivre sa trace, tu as oublié le reste. Tu n'es plus jamais revenu dans ton monde d'antan, et tu as passé ta vie à voyager, voulant la retrouver.
Petit morceau d'errance, tu l'as laissé partir comme on laisse filer entre ses doigts sa propre destinée. Ta vie tournée vers le passé l'a fait plus belle qu'elle n'était. Tu ne te souviens même plus précisément de son visage mais tu cours encore vers elle, en vain. Tu l'appelles la nuit, veux la serrer contre toi mais tu te réveilles brusquement au contact du vide, te butant à son absence.

Tu devra oublier le temps du rêve
afin de vivre encore
tu devra oublier celle qui n'est plus
afin de regarder ce temps qui est le tien




samedi 3 décembre 2011

La guerre tentaculaire



Je me souviens de cette guerre, de l'attente surtout. Je me souviens de ce temps d'avant, quand on savait tous qu'elle allait venir mais qu'elle n'était pas là, pas encore. Je me souviens des cent pas que chacun avait l'air de faire dans son coin. On sursautait au moindre bruit, on se surveillait les uns les autres pour vérifier que nous étions à l'affut, aux aguets, comme des bêtes sauvages qui s'immobilisent soudain l'oreille et la patte dressées, prêtes à attaquer. A force d'attendre on ne savait plus compter, le temps à force de s'étirer avait perdu toute consistance. Et je ne sais plus si l'on a attendu trois semaines ou trois ans. On ne dormait que d'un œil car on tenait à se maintenir éveillé si jamais... Dans ce monde fait de peut-être et de surement demain on en venait à espérer son terrible soulagement.
A force d'attendre, on la désirait encore plus fort, comme on désire un être qui se refuse à nous. Mais notre patience a payé.
 
Elle est arrivée un matin, avec son fracas habituel, son bruit de tôle et de ferraille entrechoquées, son bruit d'insecte géant dont les pattes raclent doucement le sol, réduisant le béton en miettes grises. Ses nuages de fumée, ses hommes tout petits, perdus au milieu de ses gigantesques machines. Ses bras tentaculaires jaillissant de partout, se tendant au-dessus de la ville, de nos vies, voulant nous engloutir dans son monstrueux appétit.
Mais lâcheté des lâcheté, après cette terrible attente, personne n'a plus voulu se battre. On se barricade chez soi, on se terre avec les siens, chacun voulant sauver sa petite famille, sa petite maison. Mais les tentacules de métal ouvrent les portes, égorgent les petites gens, et chaque famille a été décimée, dépecée, membre à membre.

Quand elle repart enfin, la guerre emporte avec elle l'âme de notre chère ville. Il n'y a plus que des corps morts qui flottent à la surface des rues, cadavres aux bouches béantes qui empestent l'air ambiant. La ville immobile meurt dans son silence de glace.
La guerre avec ses tentacules de fer m'a volé ma tristesse. Je ne ressens plus rien. A l'intérieur je suis un de ces corps sans vie qui parsèment la ville. Mais je continue de marcher.

Et j'observe ces autres marcheurs -car nous ne pouvons nous arrêter- qui voudraient laisser derrière eux cette ville immobile et désarticulée qui a laissé entrer la guerre tentaculaire.
J'observe ces marcheurs effectuant presque une promenade dominicale, comme s'ils avaient oublié, comme s'ils ne voyaient pas, comme s'ils ne savaient pas.
J'observe ces marcheurs dans le matin glacé, je les vois s'éloigner de toute cette ville stagnante, je les envie un peu je crois. Je ne peux pas partir. Je ne peux pas, la ville est poisseuse et colle aux semelles de mes chaussures.
Alors je suis resté, pauvre fou que je suis, dans ma ville lâche qui a refusé de se battre et qui en est morte, lâche comme moi qui refuse de partir, qui m'accroche aux vestiges d'une ville disparue, qui m'agrippe au souvenir de ce temps qui n'est plus.

Je suis resté dans ma ville pour raconter sa triste histoire avec des bouts de ficelle et cinq notes de musique. La ville s'est reconstruite et personne ne m'écoute. Personne ne fait attention au vieux fou qui erre dans les rues grises. Mais je sais bien qu'un jour, dans cette ville métallique construite sur les cendres d'une autre, la guerre reviendra quand on ne l'attendra pas.

jeudi 1 décembre 2011

Champs de pluie

 
Fleur de pierre
vierge de vinaigre
où est mon cerisier ?
je n'ai plus de jardin
plus de chaumière
rues de sable fin
murs de poussière
où est mon cerisier ?
Mer de bronze
ciel d'étain

lundi 7 novembre 2011

Temps tortue



Le pas sur le parquet
manque ici
loin, là-bas
tu te souviens
maintenant que les bruits ont cessé
que tu es seul
il faudra bien
tu sais
comme on dit souvent
revenir

dimanche 6 novembre 2011

Le Bracelet




Un jour,
tu te souviens ?
tu m'as forgé un bracelet
de trois métaux mêlés,
tu as oublié de me dire
que c'était moi que tu tordais ainsi,
ce moi de cuivre
que tu soudais à ton souvenir d'argent
et à l'or de ton corps.


samedi 5 novembre 2011

La nuit grise


Il m'a dit je te tuerai vivante
j'ai envie de me jeter sur toi
je suis si seul
je lui ai dit tu exagères
arrête, ne dis pas ça

il a dit l'autre est jaloux
là à côté
ton fiancé, là
je lui ai dis non c'est mon ami
pas mon fiancé
il a dit ha, ha, il est jaloux quand même
jaloux, jaloux, jaloux, a-t-il répété

A la la, a-t-il dit, si j'avais ton âge,
mais je suis trop vieux,
quand je te vois
tu es déjà nue
les autres...comprennent rien

Je dois rentrer maintenant, a-t-il dit,
je dois rentrer, dormir,
c'est si triste de dormir seul

jeudi 3 novembre 2011

Dans la chaleur du jour



Seul parmi les seuls
pas de larme
sur le chemin sec
pas de parole
dans la soif

dimanche 25 septembre 2011

Haïku


La machine
grand cou
mâchoire de fer
détruit les lieux d'avant

jeudi 8 septembre 2011

Ici

 
Je ne suis pas triste de laisser derrière moi ce que je connaissais. Il y aura des jours gris et bleutés, mais il faudra mieux, toujours, être ailleurs que là-bas.
Je vais apprendre par cœur les pavés mouillés de la ville de poupée, je retiendrai les rues difformes ornées de maisons épicées. Je renouerai ensemble ce que j'avais perdu pour chercher enfin ce que je ne trouverai pas.
Je m’ennuierai surement, moins qu'avant, peut-être.
Chaque chose aura un nouveau nom ; une nouvelle façon de ne pas dire ton nom, de se taire, anormalement. Chaque chose aura un reflet différent et moi-même je deviendrai une étrangère.

mercredi 7 septembre 2011

Le fil noir


Je sens ton odeur
sur moi
le goût de toi
dans ma bouche
mais les sons
m'échappent
ton rire
un murmure
si lointain
ta voix
sourde
inaudible
je vois
parfois
une partie
de ton corps
l'ensemble
jamais
une jambe
un torse
une main
le visage
un peu
les yeux
jamais
crevés
par les corbeaux du temps

Les murs blancs


Je ne me souviens que de ton nom
les autres, oubliés
tu es la seule, ici
il ne reste rien
pas de trace

Tu m'as menti
goutte de pluie
sur ma peau fanée

chaque jour
te fait mourir
sans que je puisse te dire
de m'attendre
un peu, encore

dimanche 19 juin 2011

Petits bouts de peau


Dans le silence de la mer
je ne te reconnais plus
quelque chose de perdu
cela qui manque à chacun de tes mots

je ne prendrai pas cette main
qui se tend vers moi
plante grimpante
peur de croiser
au détour de la rue
ce que je fuis

les longues nuits d'insomnie
frappent à ma porte
je ne pense plus à rien
chacun retourne à sa place
dans la ville des petites lumières
pour faire croire que la vie continue

lundi 6 juin 2011

La mémoire molle

 
Dans le fracas de la gare qui crie
j'attends

j'attends
mon vieil ami
miroir brisé
de souvenirs éparpillés
il m'avais dit
goutte de pluie
je reviendrai
morceau de craie
ne t'inquiète pas
mon petit chat
laisse moi partir
attend moi là
je reviendrai

On m'a dit
n'attend pas
il est parti trop loin
trop longtemps maintenant
il ne reviendra plus

On m'a dit
depuis le temps
ma pauvre enfant
ton vieil ami
t'a oublié

Mais moi
j'attends
dans le fracas de la gare qui crie

lundi 30 mai 2011

La ronde des petits êtres


 
A quoi pense petit être de chair?
A quoi joue petit être de boue?
A quoi pleure petit être d'os?


Petit être de chair pas penser, pas parler.

Petit être de boue sale, personne ne joue avec lui.

Petit être d'os bientôt sera poussière, et pleure cendre à venir.

dimanche 29 mai 2011

Là-bas

 
Dans la petite maison
du bout du bout du monde
je garderai la porte
espérant que quelqu'un
se souvienne d'ici

Dans la petite maison
du bout du bout du monde
il y aura un feu, toujours,
qui brulera dans l'âtre
pour celui qui aurait froid

Dans la petite maison
du bout du bout du monde
je préparerai une chambre
si jamais l'étranger
voulait s'y reposer

Dans la petite maison
du bout du bout du monde
je serai seul, toujours
je le sais bien

Comme tout un chacun
dans sa petite maison
du bout du bout du monde


mardi 24 mai 2011

L'occupation


J'attends.

Une limace s'est installée depuis longtemps à la place de ma langue, dans le petit creux chaud.
Je prendrais ma revanche.
Mon corps est un pays sans frontière.
Mon pays est un corps sans peau.
Et nous sommes à vifs tous les deux.
La colère gronde dans les rues de mes entrailles. La faim règne dans la ville. Usine et vieux poumon crachotent douloureusement des nuages de fumée noire.

L'armée se perd dans le labyrinthe de mon cerveau malade.

Dans la cité de rouille les habitants vont et viennent. Et je suis l'un deux. Je me traîne à la surface des pavés souillés. Je lèche le sol de ma ville fatiguée, elle me piétine.
Ma peau se déchire lentement et laisse ma chair à nu. Les enfants s'amusent à me jeter les ordures qui jonchent la ville. Ils rient de me voir crier, je ne peux pas leur en vouloir.

Je suis couché, dans mon lit je crois, et mon mal empire. Du fond de mon estomac remontent des liquides jaunes sombres que je recrache sur le sol de ce que je crois être ma chambre.
Les parasites remontent le long de mon corps et profite de mon inertie chaude. J'ai envie de me gratter, violemment, à m'en arracher une nouvelle fois la peau. Mais déjà mes doigts ne m'obéissent plus, mes petits soldats à moi font une mutinerie. Je résiste, je les force. Je soulève une paupière lourde pour constater que mes phalanges ont été raccourcies par quelques rats au ventre creux. Mais qu'importe maintenant...
Je suis en ruine et ma ville est à l'agonie.


jeudi 12 mai 2011

La ville de sable

 
Il y a une ville de sable
là-bas
si tu y vas
tu mourras
non pas de soif
pas même de faim

Si tu y vas
les gens de là-bas
te mangeront
ils sont cruels
tu mourras
doucement
tu auras le temps
de penser
à ta vie passée
au vide, au vice
qui l'habitent
tu seras
heureuse
presque d'y mourir
Cette ville est si belle
construite tout en sable
si finement
qu'elle semble tissée d'or
et toi
tu mourras

si tu y vas
bien sûr
si tu y vas...

vendredi 6 mai 2011

Une vache qui pisse dans un tonneau


Je ne veux plus compter jusqu'à trois
pour me perdre dans les bois
ni me brûler à la chaleur du soleil
ni être le chat

je n'ai plus envie de jouer

je ne veux plus battre les cartes
qui me feront perdre
je ne veux plus piocher
alors que je n'ai aucune chance
je ne veux plus lancer les dés
et les voir retomber malencontreusement

je n'ai plus envie de jouer

je ne veux plus appuyer sur la gâchette
ne sachant si je préfère vivre ou mourir
je ne veux plus parier
et me voir rafler la mise

lundi 2 mai 2011

Le conte de fée


Je m'éloigne à chaque pas
je ne reviendrais pas
garde tes maléfices pour toi
je ne veux plus t'entendre

le roseau d'acier chuchote une prière
et je ris
l'enfant saigne de l'oreille
et je lui coupe le pied

Tu danses avec moi et tu t'enfuis
je ne veux plus te voir
tu te transformes pour me plaire
va-t-en, va-t-en

Devant la cheminée
Une jeune fille attend
je la recouvre de cendres,
qu'elle étouffe!

Il y a deux sœurs, deux sœurs
je prends chacune d'elle par le bras
et je pars
en riant

Je ne veux plus te voir
pleure, dans ta mansarde
pleure, dans tes guenilles
et laisse-moi tranquille

Je ne courrais pas derrière toi
je ne veux pas te rattraper
ni ramasser la pauvre chaussure
en fausse fourrure

La jeune fille
dans le puits
s'est jeté
et moi, hi, hi
je ris

dimanche 1 mai 2011

Haïku

Quatre murs blancs
De l'autre côté
Un ascenseur descend

« Je n'y suis pour personne »


Je ne veux plus jaillir de toi
sans savoir d'où loin tu viens
je ne veux plus m'enfoncer dans tes eaux boueuses
sans sentir comment toi être

je suis perdu
dans le long du jour
et cherche

Je veux pouvoir briser miroir
afin de
méthodiquement
enlever morceaux de verre
de ta peau légère

perdu
jour trop long
ne cherche plus

Je ne veux plus partir
sur les routes ventre creux
je veux rester là
près de toi
et attendre
que je revienne